Interview de M. Jalel AZOUZ – Directeur Général de la Banque de Tunisie et des Emirats.(BTE)
La sphère financière et bancaire dans la plus part des pays de la planète est mise à mal. En dépit d'un contexte économique mondial délicat mais aussi par la déconvenue de la crise sanitaire.
Jalel Azouz directeur général de la banque de Tunisie et des émirats (BTE) a bien voulu se livrer a nos questions. Il nous répond avec sa disponibilité et sa clairvoyance habituelles, sur la conjoncture actuelle, sur sa philosophie d'action, mais aussi sur les performances et les perspectives de croissance de la BTE.....
La crise actuelle devrait peser sur le bilan des banques pour 2020 (trésorerie et qualité du portefeuille) et sur leur rentabilité, Quelle a été la stratégie de la bte pour réduire l'impact de la pandémie sur ses performances ?
R : Il est toujours important de rappeler que la crise actuelle n’est pas propre, ni à la Tunisie seule, ni au secteur bancaire.
C’est une crise que toutes les économies subissent jusqu’à nos jours suite à une pandémie qui a pu se répandre, à partir de la Chine pour toucher tous les pays du monde constellant une panique générale à travers les populations à part un nombre regrettablement élevé de décès.
Tous les secteurs de l’économie ont été touchés, même ceux, qui dans l’apparence n’étaient pas concernés par les mesures de confinement, étaient victimes indirectement par un ralentissement de rythme d’activité de leurs fournisseurs et/ou clients.
Toutes les statistiques monétaires et financières permettent d’établir une première photographie de l’impact de la crise du covid-19 sur la situation financière des Banques. Cette photographie demeure partielle et provisoire car certaines données des comptes financiers ne sont pas encore disponibles. Néanmoins, il est certain qu’effectivement, cette crise va peser sur les Banques, du fait qu’elles sont des institutions qui subissent la situation difficile de leurs clients ; Ménages et Entreprises.
Au niveau de notre Banque, l’engagement dans les mesures nationales de soutien aux entreprises de tous secteurs et aux ménages était inconditionnel malgré une taille relativement limitée de notre institution.
Notre impartialité à l’égard de tout notre portefeuille touché par cette crise était authentiquement liée à une tradition de soutien à des Clients-Partenaires qui ont toujours cru fort en la BTE.
Notre stratégie est puisée d’un principe simple et évident. On a accompagné la douleur de nos clients jusqu’à ce qu’ils retrouvent le chemin de la guérison.
Lorsque nos ménages retrouvent leurs emplois et leurs niveaux de salaires et lorsque nos entreprises retrouvent leurs marchés et niveaux d’activité habituels, ils seront fidèles à leur banque qui était à leur chevet.
La BTE, comme d’autres banques de la place, a adhéré aux différents mécanismes de soutien qui ont été mis en place par le gouvernement et la Banque Centrale de Tunisie, de manière à ne pas vivre une trésorerie serrée pour le maintien du niveau de son activité.
En matière de rentabilité, nous estimons que la résilience de notre Banque est suffisamment bonne pour escompter un effet modéré de l’impact de cette crise.
Il est bien évident que notre proximité permanente du marché et de ses variables nous permet d’ajuster, avec beaucoup de flexibilité, les axes de notre stratégie, qui doit répondre simultanément aux besoins de nos clients, aux normes prudentielles et de gestion.
L’adéquation n’est pas simple, mais nous sommes confiants.
Malgré un pnb en recul de 17% à fin septembre, d'autres indicateurs restent au vert comme les dépôts à vue, et les gains sur les opérations de change. Quelles sont les conditions d'une reprise rapide du secteur bancaire en 2021 ?
R. : Le contenu de votre question confirme en partie notre réponse à votre question précédente dans la mesure où nous croyons fort dans le degré de résilience de notre Banque.
Objectivement, le recul d’un PNB arrêté à une date intermédiaire n’est pas très significatif du fait que la périodicité d’encaissement de plusieurs produits d’exploitations n’est pas forcément parallèle à la périodicité de constatation des mêmes charges.
Néanmoins, aux vues des réductions des taux d’intérêt et la diminution de la demande, il demeure évident qu’elles auront un impact élevé sur le niveau des produits nets bancaires
Si aujourd’hui le secteur bancaire figure parmi les plus impactés, il devient donc tout à fait urgent qu’une reprise parvienne rapidement.
Nous pensons qu’il faut agir pour mettre au point un plan d’action pour permettre aux banques de s’adapter rapidement à l’urgence, protéger leur business et leurs clients, et préparer l’avenir.
Tout en assurant la poursuite de leur activité, les banques sont appelées à s’adapter rapidement pour répondre aux nouvelles sollicitations de leurs clients, assurer la sécurité de leurs collaborateurs et se préparer à relever des défis financiers et opérationnels majeurs durant la prochaine année :
Les mesures de distanciation sociale pousseront les clients à privilégier les canaux digitaux pour les achats de biens et de services.
La crise laisse craindre une explosion des défauts de paiement et du volume des non-performing loans, et ce, malgré les mesures de soutien.
Le décalage entre l’évolution des revenus et celles des coûts forcera les banques à améliorer leur flexibilité opérationnelle, à repenser leurs priorités et leur structure de coûts.
Le dispositif de gestion des risques devra évoluer afin d’intégrer les impacts de cette crise et prévenir les prochaines crises.
En quelques jours, le contexte dans lequel opèrent les fonctions Risques a donc été radicalement et durablement transformé. Les effets de la crise concernent tous les types de risques :
Risque de crédit et de contrepartie
– Malgré les moratoires de crédit et des assouplissements réglementaires temporaires, les banques doivent anticiper une forte dégradation de la qualité de leur portefeuille de crédits et une augmentation massive du volume de non-performing loans.
Risque de liquidité
– Les banques doivent réajuster leur plan de refinancement pour tenir compte, à l’actif, des mesures exceptionnelles sur les crédits (report à sept mois des échéances, nouveaux crédits bénéficiant d’une garantie de l’Etat) et, au passif, des risques sur la liquidité interbancaire.
Risque de marché
– Les marchés sont fortement perturbés par la crise : des dislocations de marché et de nouveaux facteurs de risque apparaissent. Les modèles de risque doivent être actualisés afin de capter ces nouveaux paramètres (par exemple suspension des dividendes, niveaux élevés de volatilité, etc …).
Risque opérationnel
– Le contexte actuel démontre toute l’importance d’un plan de continuité d’activité robuste.
Risque cyber
– La crise constitue un terrain favorable à la criminalité financière et aux cyber-attaques. La sécurité des données doit demeurer une priorité, même lorsque l’urgence de la situation impose des modes de fonctionnement alternatifs (canaux digitaux, télétravail…).
Risque systémique
– Le dispositif de gestion des risques devra évoluer afin d’intégrer les impacts de cette crise et prévenir les prochaines crises. A plus long terme, les banques devront accélérer leur agenda en matière de finance durable.
Cette crise exige une révision complète du cadre de la gestion des risques et de la résilience et la définition d’un plan d’action efficace.
Cette crise a donné également un coup d'accélérateur à la virtualisation des services bancaires. la bte est très à cheval sur ce créneau.
R. : Juste. Comme je viens d’annoncer, les mesures de distanciation sociale ont poussé les clients à privilégier les canaux digitaux pour les achats de biens et de services, mais aussi pour communiquer avec leurs banques.
La BTE a effectivement attaché une grande importance à ce créneau dans la mesure où tous ses clients porteurs de cartes bancaires avaient la possibilité de réaliser toutes leurs transactions à distance, mais en toute sécurité.
Tous les accès à distance de nos clients jouissent d’une sécurité optimale, et la BTE est déterminée à aller encore plus en avant sur ce créneau.
Le passage des banques bilatérales du développement à l'universalité. a-t-il selon vous servi ou desservi ces dernières ?
R. : A notre avis, et à l’avis de tous les experts, ce passage n’était pas un choix. Il était une nécessité.
Le problème majeur des banques du développement (bilatérales ou nationales) était essentiellement un problème de coût de ressources.
Ce passage a permis à ces banques, après l’évolution du cadre juridique de juillet 2001, à collecter des dépôts à coûts moindres, mais aussi à s’engager dans le processus de création monétaire et au financement de l’économie sur le court terme. Sans oublier les nouvelles possibilités qui leurs sont offertes à vendre des services bancaires à bonne valeur ajoutée.
Vue de cet angle, cette transformation constitue une ouverture sur de nouveaux horizons de développement et de croissance.
Néanmoins, comme je l’ai toujours dit, les turbulences qu’a connues le paysage économique du pays post-révolution, les changements de quelques cadres règlementaires, la mise en œuvre de nouvelles normes de gestion et de prudence et la dernière crise sanitaire n’ont pas trop aidé ces mêmes banques à décoller et à franchir le seuil de la vulnérabilité financière.
Vue de cet angle, je dirais que ce passage a apporté des difficultés supplémentaires, bien que sans lui, ces banques n’auraient certainement pas pu survivre jusqu’à nos jours.
Pour finir, je pense que ce sujet a fait couler assez d’encre et il n’est plus envisagé de revenir sur le passé de cette transformation.
Il est plus opportun que jamais de penser et d’agir stratégiquement et efficacement sur la pérennité de ces banques car leurs concours étaient, tout au long de l’histoire de notre pays, incontestables, leurs valeurs ajoutées actuelles sont confirmées et leurs goodwill sont très appréciables.
Interview conduite par : Hatem Toulgui.